Cet interview a été réalisé par Ludovic Aurégan et Nicolas Werquin, journalistes au Berry Républicain :
Annulation de la finale
« Ça n’a pas été une décision facile à prendre. Elle a été prise, ensemble, par toutes les joueuses de Bourges et de Lyon. On s’est regroupées à plusieurs reprises, et ça a été une décision très dure à prendre car c’était une finale à Bercy. On a beaucoup échangé sur le fait de ne pas jouer cette finale car il y avait trop de risques, même pour une finale à Bercy. »
Arguments de la Fédération pour le maintien du match
« Il y a divers protocoles qui sont sortis, mais je n’ai pas trop envie de parler de ces protocoles. Je n’ai pas trop envie de polémiquer dessus, je reste une joueuse de basket. Et ils ont estimé qu’avec notre roster, il nous restait huit joueuses professionnelles en capacité de jouer, et que Lyon, qui ne comptait qu’un cas de Covid, il y avait aussi suffisamment de joueuses. »
Union entre Berruyères et Lyonnaises
« Là, ça va au-delà du sport, on est dans le domaine de la santé. C’est là-dessus que je veux vraiment insister. Du côté de Lyon, j’ai beaucoup échangé avec Ingrid Tanqueray (la capitaine de l’Asvel, NDLR), qui s’interrogeait sur le fait qu’on ait trois cas dans notre équipe et qu’on soit toutes des cas contacts. Le test a été fait lundi, donc on a effectivement été des cas contacts avec les filles positives. Quand tu fais le test lundi et que tu es négative, jeudi ou vendredi tu peux être positive. C’est le problème avec ces tests. Quand on joue un match, l’idéal serait de passer un test le vendredi matin, mais je sais que c’est compliqué d’avoir les résultats immédiatement. Ingrid avait peur pour son effectif, et je comprends qu’elles soient inquiètes de jouer contre nous, car on parle de trois cas confirmés dans notre équipe. À un moment donné, il faut être sérieux, mettre un protocole sanitaire au point, quelque chose de bien structuré afin de rassurer les joueuses et de prendre soin de notre santé, tout simplement. »
Protocole
« Avec Ingrid, on attend un protocole cohérent. Évidemment, le protocole changera durant la saison car ça dépendra de la situation, des gens contaminés, du virus s’il devient plus dangereux… Quand on nous dit que nous, sportifs, on ne risque rien, ça reste à prouver ! Car c’est nouveau. Moi, je ne peux pas parler au nom des autres filles qui ont eu le virus dans l’équipe, mais ce n’est pas un petit mal de tête. Il faut donc prendre les choses au sérieux. Ce qu’on attend, c’est vraiment un protocole dans l’intérêt des joueuses. Si moi demain on me dit « il y a trois cas dans ton équipe, tu peux jouer », et que tous les médecins me disent « il n’y a aucun risque », alors on jouera. Mais là, jeudi, notre docteur est venu nous voir jeudi matin en nous disant « je ne vous conseille pas d’aller jouer à Paris, c’est un risque », là c’est autre chose. »
Basket relégué au second plan
« Je sais que la Fédération a fait beaucoup d’efforts pour organiser ce match à Bercy. C’est la première fois qu’une affiche féminine se retrouvait seule à Bercy, pour lancer cette nouvelle saison. Beaucoup de choses ont été mises en place, mais à un moment donné, quand on me parle beaucoup de ça et non de la santé des joueuses, c’est quelque chose qui me dérange personnellement, et qui nous dérange. Mercredi, on leur a annoncé qu’on avait trois cas de Covid au sein de notre équipe, et c’est à ce moment-là qu’il aurait fallu prendre une décision. Et pas nous laisser dans l’incertitude et nous faire venir à Paris. Moi, c’est ça qui me dérange. Quand on a eu les résultats des tests mercredi, tout le monde pensait que le match allait être annulé, moi la première. Je sais que c’est pas facile d’annuler un événement comme ça, mais encore une fois, on parle de la santé. »
Peur d’éventuelles conséquences
« Il y en aura certainement. Et je le répète, ça n’a pas été facile de prendre une telle décision. Mais à un moment donné, si tu ne fais rien et que tu acceptes tout, tu ne te feras jamais entendre et respecter. Avant de prendre cette décision, j’ai donné la parole à toutes les filles, qui ont toutes pu s’exprimer. Car ce que je veux, c’est le bien-être de mon équipe, que tout le monde se sente en sécurité et qu’on joue dans de bonnes conditions. À partir du moment où tu as vingt filles qui disent « moi, je ne sens pas le fait de jouer cette finale, je ne me sens pas en sécurité », il faut faire passer la santé avant tout. Et tant pis pour les conséquences. »
Réaction de Jean-Pierre Siutat
« Je connais Jean-Pierre Siutat (président de la FFBB, qui a évoqué « un coup d’arrêt pour le basket féminin », NDLR) depuis très longtemps, et je sais qu’il a fait énormément pour le basket féminin. Il se démène pour essayer d’organiser le plus de choses possibles. Mais on s’est senties un peu offensées par sa réaction dans le sens où on lui a exprimé nos craintes et sur le fait que si on ne voulait pas disputer cette finale, c’est parce qu’on ne se sentait pas rassurées sur certaines conditions sanitaires. Notamment, nos trois cas au Bourges Basket. Et tout simplement pas comprises. Et c’est décevant. »
Dialogue
« Sans vouloir polémiquer sur les protocoles, je vois celui des garçons qui dit que tout le monde doit être à l’isolement s’il y a trois cas positifs. Et nous les filles, on a trois cas mais il faut aller jouer une finale à Bercy. En Leaders Cup, il y a eu un match annulé pour un cas… Et nous on veut nous foutre sur un parquet avec trois cas confirmés. À un moment donné, il faut être cohérent. Et pour moi, il n’y a pas de cohérence. Je sais qu’il y avait de l’argent en jeu, que c’était un gros événement, qu’ils ont fait ça pour développer le basket féminin. Mais à partir du moment qu’il y a trois cas confirmés dans une équipe et qu’ils nous envoient quand même sur le parquet, ça me dérange, ça nous dérange. »
Début la semaine prochaine de la Ligue féminine
« J’ai envie de faire une saison. Mais si lundi on est contrôlées et que les dix filles sont positives, on ne peut pas commencer le championnat. On a une fille dans l’équipe, ça fait dix jours qu’elle est chez elle et elle n’est pas prête à reprendre l’entraînement. Je ne sais pas au bout de combien de temps les filles vont pouvoir revenir dans l’effectif. Donc là, on nous envoyait sur un match dont on ne sait pas les conséquences derrière…
À partir du moment où on ne nous met pas dans les meilleures conditions, comme c’est le cas sur ce match-là, je ne suis pas d’accord. Et on n’est pas d’accord, toutes ! Et pourtant on veut reprendre ! Ça fait huit semaines qu’on s’entraîne, et la finale à Bercy était le premier objectif. Vous croyez que ça nous fait plaisir d’annuler ce match, d’aller à Paris, faire un aller-retour… C’est une décision qui a été réfléchie toutes ensemble. Elle n’a pas été facile à prendre, mais on l’a prise. (…) Je tiens à souligner qu’on a eu un échange avec toutes les capitaines et tous les coaches des équipes de la Ligue féminine, qui nous soutiennent, ainsi que nos dirigeants qui sont derrière nous. Et c’est important. Et le syndicat (Syndicat National des Basketteurs) a été très présent ces deux derniers jours, donc je tiens aussi à remercier tous ces gens-là qui nous soutiennent dans ce moment un peu particulier. »
Propos recueillis par Ludovic Aurégan et Nicolas Werquin